Les inondations de Salzinnes en 1740
Par Emile BROUETTE
Avec les épidémies, le feu, les guerres et la famine, les inondations ont toujours été au premier rang des grandes catastrophes. Namur, qui n’a échappée à aucune de celles-ci, connaît la hantise de l’eau. Si aujourd’hui les grands travaux de régularisation des cours de la Meuse et de la Sambre ont atténué et, espérons-le, fait disparaître l’amplitude des débordements fluviaux, on sait qu’il n’y a guère et presque annuellement, des hivers virent des inondations recouvrir des quartiers entiers de la ville et les plus populeux, tant dans le centre que dans les faubourgs.
On imagine l’effroi d’une paisible communauté de religieuses cloîtrées à la vue de la montée de l’élément liquide dans leur maison et ses dépendances. A la rupture de la vie communautaire à laquelle la règle monastique, très sévère, les assujettissait, en suivant un horaire et des actes immuables, s’ajoutent les incommodités de déplacement partout où elles ont leurs habitudes. Leur sang-froid n’est pas toujours à la hauteur de leur bonne volonté. L’épreuve est rude pour des filles habituées à la dévotion contemplative.
C’est cet incident qui perturba la sérénité de la vie communautaire de l’Abbaye de Salzinnes, qui dura trois semaines et finit comme toute inondation par le retrait des eaux et des dégâts en tous genres, que raconte un scribe anonyme, un familier du monastère, sans doute. Il consigna cette note comme digne de mémoire à la dernière page du registre aux Fondations de l’Abbaye, manuscrit aujourd’hui conservé au Séminaire de Namur (ms n 61) construit précisément sur l’emplacement de l’Abbaye et qui, souhaitons-le est à l’abri de la catastrophe de 1740.
C’est ce texte que nous faisons connaître ci-après, en respectant son orthographe et sa ponctuation.
« Remarque sur le temps à venir au sujet des eaux de la Sambre.
Le 8 décembre de l’an 1740 la Sambre et la Meuse ont esté extraordinairement haute. Le 9,10 et 11 l’eau entre dans cette abbaye dans les encloistres (1) et plus dans la prairie des dames (2), le 12 elle diminua, mais, les 18, 19 et 20, elle augmenta il y eu dans le quartier de l’hoste (3) au moins six pieds (4) d’eau, dans l’église environs cinq pieds et plus dans la cuisine de la bascour, dans la grange et les vergeries sept pieds, sur la chaussée de Namur, environs quatre pieds, tous les jardins et prairies ont esté remply d’eau jusque à la hauteurs des murailles. Les Dames ont du faire leurs offices dans les dortoirs où on célébra la messe le 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24. Les domestiques pour entendre la messe ont du descendre du grenier au-dessus de la brasserie où ils estoient tous réfugiés, se mettre dans une barquette au vieux quartier de Madame (5) sur une échelle plantée sur la baquette pour aller ensuite au dortoir des dames (6).
Le 25, jour de Noël, l’eau commença à se retirer, de même que le 26, et 27 et 28. Il tomba ce dernier jour une grande quantité de neige et l’eau entra encore dans les prairies. Le 30 et 21 il gela et les prairies furent remplies de glaces. Le jour de l’an 1741, un vent et pluy douce firent fondre les glaces, on a fait la cuisine pour les dames dans une chambre en fait pres de la thour où on avait à tems transporté bierre et provisions et pour les domestiques dans le grenier deseure la barquette mener et chercher les vivres nécessaires d’un lieu à l’autre et on alloit à Namur à cheval. Les chevaux ont esté réfugiés aux environs près du fort d’Orange (7) et aussi les bestes à cornes et celles au-dessus de la cloisière (8), ce qui a cause un domage considérable tant à l’abbaye quand dans les moulins qui ont esté soub l’eau jusque aux toits et même au dessus les plus bas, où il y a beaucoup de désordre de même que dans la brassine (9), la chaudière ayante este cassée et les fours rompus ce qui a coûté grande dépence . »
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(1) - En principe, le cloître, mais ici sans doute s’agit-il de l’ensemble du complexe claustral comprenant en outre : les dortoirs, les cellules, le réfectoire, le logement de Abbesse, le quartier des novices, etc. c'est-à-dire tout ce qui se trouve à l’intérieur de la clôture monastique.
(2) - Celle-ci était en contrebas vers la Sambre.
(3) - Il s’agit de la partie du monastère réservée au séjour des visiteurs, ceux-ci étant des parents des religieuses, des pèlerins de passage, des voyageurs demandant le gîte et l’hospitalité d’une nuit. Ce quartier est situé hors de la clôture.
(4) - Cette ancienne mesure de longueur valait environ 32 cm.
(5) - Madame l’Abbesse Marie-Ange ROSART, qui avait occupé la charge de boursière, avait alors 43 ans et venait d’être élue à peine un mois auparavant. Elle devait mourir le 12 avril 1778.
(6) - Il y avait alors à Salzinnes 24 dames de chœurs et 5 converses.
(7) - Le fort d’Orange, construit par COEHOORN au XVIIème siècle, n’a rien à voir avec l’ouvrage actuel ainsi nommée. C’était, en 1740, un des principaux ouvrages de la place. Il était séparé de la Citadelle (Donjon- Médiane – Terra-Nova) par le Ravin de la Foliette.
(8) - Jardin légumier, floral (pour l’ornementation de l’église) et médicinal, entouré de murs, de murets ou de haies.
(9) - La Brasserie.